La religion à l’envers

 


The Vision of Christ that thou dost see

Is my Visions Greatest Enemy

Thine has a great hook nose like thine

Mine has a snub nose like to mine

Thine is the Friend of All Mankind

Mine speaks in parables to the Blind

Thine loves the same world that mine hates

Thy Heaven doors are my Hell Gates

Both read the Bible day & night

But thou readst black where I read white


William Blake


Au moyen âge, la nature était couramment considérée comme un symbole du surnaturel - par les franciscains notamment, et en particulier par saint Bonaventure - et l’analogie, au sens thomiste de ce mot, qui permet de remonter de la connaissance des créatures à celle de Dieu, n’était pas autre chose au fond qu’un mode d’expression symbolique basé sur la correspondance de l’ordre naturel avec le surnaturel ; mais il faut savoir que, lorsqu’on passe ainsi analogiquement de l’inférieur au supérieur, de l’extérieur à l’intérieur, du matériel au spirituel, une telle analogie, pour être correctement appliquée, doit être prise en sens inverse, comme l’image d’un objet dans un miroir est inversée par rapport à cet objet. Suivant les paroles de la Genèse : « Elohim créa l’homme à Son image », littéralement « Son ombre », c’est-à-dire Son reflet.


A cet égard, on peut rappeler que, selon certains théologiens, la « théologie négative » est seule rigoureuse, c’est-à-dire qu’il n’y a que les attributs de forme négative qui conviennent véritablement à Dieu : toute affirmation directe ou détermination étant une limitation, donc une négation, c’est la négation d’une détermination qui est une véritable affirmation, et ainsi, à un certain point de vue, ce qui est «positif» par rapport à la manifestation est «négatif» par rapport à la non-manifestation, et inversement ; il en va de même pour des termes comme ceux de «vie» et de «mort», de «veille» et de «sommeil», de «jour» et de «nuit», «d’expiration» et «d’inspiration», etc., et c’est encore ainsi que, comme l’expriment tant de paroles évangéliques, ce qui est le premier ou le plus grand dans l’ordre principiel est, du moins en apparence, le dernier ou le plus petit dans l’ordre de la manifestation : « Les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers » ; « Quiconque s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera élevé » ; « Celui d’entre vous qui est le plus petit, c’est celui-là qui est grand », etc.


Maintenant, les choses étant telles, il est facile de comprendre que la religion toute entière puisse se retrouver en quelque sorte comme retournée « sens dessus dessous » lorsque la signification analogique des symboles est méconnue et qu’il ne subsiste plus des termes traditionnels que la «lettre qui tue», c’est à dire des «superstitions», au sens étymologique de ce mot, des écorces vides, des reflets ou des ombres inversées des vérités que ces termes expriment originellement. Alors «l’Amour», «la Lumière», «la Vie», «la Joie», «la Vérité», «le Bien», etc., tous ces grands mots qui semblent exercer une sorte de fascination sur tant de nos contemporains, au lieu des attributs divins qu’ils désignent normalement, n’en expriment plus guère que des caricatures, des aspirations sentimentales plus ou moins vagues généralement, et en tout cas, malgré les prétentions de certains, des choses simplement humaines, sinon infra-humaines, et ce sont ces formules, aussi vides que grandiloquentes, qui passent pour de la «spiritualité» au yeux de ceux qui sont incapables d’en apercevoir le ridicule.


En effet, il est bien connu que l’ Antéchrist est le «singe de Dieu», et qu’il prétendra instaurer «l’âge d’or» par une contrefaçon du Sanctum Regnum ; mais comme qui dit contrefaçon dit par là même parodie, car ce sont là presque des synonymes, il est inévitable que cette religion «à rebours» ne s’accompagne d’ éléments grotesques plus ou moins apparents. C’est là le côté par lequel le mensonge, si habile qu’il soit, ne peut faire autrement que de se trahir, et ceux que le Christ a appelés des «sépulcres blanchis», ou encore des loups dans des peaux de brebis, pourront bien peinturlurer les cercles de l’enfer des couleurs du paradis et s’exprimer comme s’ils étaient tous dans un état de proximité divine comparable à celle des prophètes de l’Ancien Testament, le caractère ridicule de la situation ne devrait pas échapper à des observateurs un tant soit peu perspicaces, si toutefois les « suggestions » qu’ils subissent inconsciemment n’abolissent pas à cet égard leur perspicacité naturelle. Quoi qu’il en soit, au point où nous en sommes, cette «marque du diable» sans laquelle, les mots étant les mêmes qu’aux temps passés, on pourrait peut-être difficilement manquer de se faire prendre, cette «marque du diable» semble d’ores et déjà empreindre plus ou moins toute chose de son sceau.

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