Margaritas ante porcos

[…] Chez eux en effet la plus haute théologie se ramène à ces deux pratiques : siffler devant les démons et esquisser sur son front la croix.


[…] ne regrettez point Athanase […] vraiment il y a chez vous une foule de gens distingués qui ne vous laisseront point dans l'embarras. Choisissez au hasard dans la masse : pour tout ce qui touche à l'explication des Écritures, le premier venu vaudra bien celui que vous regrettez. »


Empereur Julien, Lettres.


L'empereur Julien reprochait apparemment aux chrétiens de son époque de négliger la distinction entre exotérisme et ésotérisme (si ce n'est pas d'ignorer purement et simplement ce dernier), distinction si importante dans la tradition des Mystères à laquelle il se rattachait1, comme à vrai dire, d'une manière ou d'une autre, dans toute tradition régulière, où chaque chose doit être mise à la place qui lui convient, et où l'enseignement en particulier doit être adapté aux aptitudes de ceux qui sont destinés à le recevoir ; et il est malheureusement vrai que, dans le christianisme, les rapports normaux entre ces deux domaines semblent n’avoir jamais été établis en fait d’une façon parfaitement normale comme ils l’ont été dans d’autres traditions. Quoi qu'il en soit, à notre époque « d'égalitarisme » et de sentimentalité déplacée, s'il est un précepte évangélique qui semble être lettre morte, c'est bien celui-ci : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas les perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds, et que, se retournant contre vous, ils ne vous déchirent » (St Matthieu, VII, 6).


En effet, il est facile de comprendre que la doctrine ne peut guère qu'être déformée et dénaturée lorsqu'on prétend la mettre à la portée de la mentalité commune, et cette corruption de la Sagesse (représentée par la tête de Méduse, qui change les hommes en pierre) fut bien souvent dénoncée au sein du christianisme même, par exemple dans l’œuvre de Dante, dont les aspects profonds sont d'ailleurs enveloppés d'un voile assez difficilement pénétrable. Un chapitre de son De vulgari eloquentia pose la question suivante : tous ceux qui écrivent des vers doivent-ils utiliser le « vulgare illustre »2 ? A première vue on pourrait penser que oui, est-il répondu, car « chacun doit orner ses vers autant qu'il peut ; mais nous ne définirons pas orné un bœuf harnaché comme un cheval ni un cochon ceint d'un baudrier ; nous rirons plutôt de les voir ainsi défigurés, car on orne quelqu'un en lui attribuant quelque chose qui lui convient ».


Cette dernière image nous semble fort bien convenir à la religion telle qu'elle se présente généralement de nos jours, et même peut-être tout simplement, au fond, au caractère mensonger et grotesque de l'époque actuelle ; en tout cas, nous retrouvons là les « pourceaux » de l’Évangile, et à ce sujet, nous renverrons aux textes « la religion à l'envers » et « la hantise du gnosticisme » dont cette note n'est qu'un petit « complément ».




1« Supposons maintenant que je touche un mot des arcanes de la mystagogie dont a parlé le Chaldéen inspiré à propos du Dieu aux sept rayons, par l'entremise duquel il élevait les âmes vers le ciel : je dirais des choses ignorées, pleinement ignorées du moins de la canaille, mais familières aux bienheureux théurges. C'est pourquoi je les tairai en ce moment. » Ce doit être à ce passage du Sur la Mère des dieux que Guénon fait référence dans une note de son article sur les sept rayons et l'arc en ciel.

2Sur cette expression voir René Guénon, Nouveaux aperçus sur le langage secret de Dante.

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