Vivo autem jam non ego
Gal. 2:20
Pour comprendre la notion traditionnelle de la Personnalité, il est essentiel de la distinguer de celle d'individualité et, à cet égard, on peut tout d'abord remarquer que le latin persona désignait le masque de théâtre : la Personnalité, en effet, est littéralement l'identité essentielle de l'être qui se cache sous le masque des états manifestés, des formes individuelles1, des modalités multiples qui n'en sont que des modifications transitoires et contingentes et qui ont en elle le principe permanent et immuable sans lequel leur réalité serait purement illusoire2.
D'autre part, Dieu (en tant que l'Être) étant par rapport à la manifestation universelle ce que la Personnalité est par rapport aux individualités (et autres états manifestés) multiples qui en dépendent, il peut être conçu comme personnel (bien qu'en soi-même et par rapport au non-manifesté – en tant que le Non-Être – il doive aussi nécessairement être conçu comme impersonnel3) ; et de même que l'Unité enferme en soi la multiplicité, puisqu'elle la produit par le seul déploiement de ses possibilités, de même, dans l'Être (qui est l'Unité métaphysique même), on peut envisager une multiplicité d'aspects dont chacun se distingue des autres sous un certain rapport, bien qu'aucun d'eux ne se distingue véritablement de l'Être, et que tous soient l'Être même ; d'où la conception possible d'une pluralité de « Personnes divines », notamment, évidemment, dans la doctrine chrétienne des Personnes de la Trinité.
En outre, ces dernières considérations rejoignent en quelque sorte celles qui précèdent, car la Personnalité ou le principe transcendant dont dépend toute individualité n'est autre, au fond, que la possibilité même de son être (affranchie des conditions limitatives qui sont inhérentes à toute manifestation) telle qu'elle est éternellement dans l'Intellect divin, dans la Science principielle, dans le Verbe non proféré (envisagé comme le « lieu des possibles ») qui, comme nous venons de le voir, ne se distinguent pas de Dieu même.
Maintenant, dans les circonstances actuelles, l'immense majorité de nos contemporains étant vraisemblablement incapable de concevoir l'Universel, et donc de distinguer la Personnalité de l'individualité, il est malheureusement fort à craindre, lorsque certains parlent d'un « Dieu personnel », que ce ne soit d'un « Dieu anthropomorphique » qu'il s'agisse en fait4. Ce cas est d'ailleurs un exemple particulièrement net du fait que, lorsque l'idée exprimée par certains mots cesse d'être comprise, ceux-ci peuvent prendre une signification à l'opposé de celle qu'ils avaient à l'origine, bien que les apparences, qui sont souvent fort trompeuses, puissent demeurer semblables5...
1C'est en effet la présence de la forme (figura), parmi les conditions limitatives qui définissent et déterminent un état d'existence, qui caractérise proprement l'individualité et la constitue essentiellement comme telle ; mais il y a aussi des états manifestés supra-individuels (« angéliques ») et donc informels.
2Cf. René Guénon, Le symbolisme du théâtre, ch.XXVIII des Aperçus sur l'Initiation.
4Cette expression semble d'ailleurs souvent le fait d'Occidentaux apparemment préoccupés avant tout de distinguer et d'affirmer la soi-disant supériorité de leur doctrine sur les doctrines orientales ; malheureusement, pour quiconque n'est pas affecté par certains préjugés, c'est là un argument qui ne peut guère que se retourner contre ses propres « partisans ».
5Voir La religion à l'envers.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.